Couverture fascicule

Le sexe ou la tête ?

[article]

Année 1976 13 pp. 5-15
Fait partie d'un numéro thématique : Elles consonnent. Femmes et langages II
doc-ctrl/global/pdfdoc-ctrl/global/pdf
doc-ctrl/global/textdoc-ctrl/global/textdoc-ctrl/global/imagedoc-ctrl/global/imagedoc-ctrl/global/zoom-indoc-ctrl/global/zoom-indoc-ctrl/global/zoom-outdoc-ctrl/global/zoom-outdoc-ctrl/global/bookmarkdoc-ctrl/global/bookmarkdoc-ctrl/global/resetdoc-ctrl/global/reset
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
Page 5

le sexe ou la tête ?

De la différence sexuelle, d'abord, ces petits éclats : un jour le couple absolu, Zeus et Héra ayant une de ses querelles épisodiques et systématiques — querelles qui intéresseraient hautement aujourd'hui les analystes — convoquent Tirésias comme arbitre. Tirésias, le devin aveugle, avait bénéficié d'un destin singulier : il avait vécu sept ans en tant que femme, sept ans en tant qu'homme.

Il a une double vue. Une double vue autre que celle que l'on signale d'habitude comme sa double vue : ce n'est pas seulement qu'il voit un certain avenir en tant que devin. Il voit aussi des deux côtés. Il voit du côté du masculin et du côté du féminin.

La querelle avait pour sujet la question de la jouissance : c'était « qui, de l'homme ou de la femme, jouit le plus ? ». Evidemment ni Zeus ni Héra ne pouvaient répondre, sinon en donnant leur réponse, réponse insuffisante parce qu'il faut dire que l'antiquité était plus modeste que notre temps en ce qui concerne la possibilité d'identification. Donc on a été chercher Tirésias, le seul ~û sache « lequel des deux ». Et Tirésias a répondu : « Si la jouissance pouvait être divisée en dix parties, la femme en aurait neuf ». Neuf. Ce n'est pas par hasard qu'on voit réapparaître Tirésias sur aucune autre scène que celle d'Œdipe. C'est Tirésias qui vient, sur l'ordre d'Œdipe rappeler à Œdipe que l'aveuglement est son maître et c'est Tirésias qui vient comme on dit € faire tomber les écailles des yeux » et apprendre à Œdipe qui il est en réalité. Voyez que tout ceci s'articule et que ça passe toujours par un certain rapport à « qu'est-ce que c'est que la femme pour l'homme ? ».

Je pense à une petite histoire chinoise. Chaque détail de cette histoire compte. Je l'emprunte à un manuel très sérieux, le manuel de stratégie de Sun Tsé. Il s'agit d'une sorte de guide pratique à l'usage de l'homme de guerre. L'anecdote est la suivante : le roi demande au général Sun Tsé : c Vous qui êtes un grand stratège, et qui vous

faites fort de former n'importe qui à l'art de la guerre.. .. et bien prenez mes femmes (il y en avait cent quatre-vingts !) et faites-en des soldats ». On ne sait pas pourquoi le roi a eu ce désir, c'est la seule chose qu'on ne sache pas..., qui soit justement « incontable » ou incalculable dans l'histoire. Enfin, c'est un désir du roi.

Et Sun Tsé fait mettre les femmes sur deux rangs, chaque rang est commandé par l'une des deux favorites, et ensuite il leur enseigne le code que l'on transmet au moyen du tambour. C'était très simple : deux coups : à droite, trois : à gauche, quatre i demi-tour ou en arrière... Et au lieu d'apprendre le code très vite, ces dames se mettent à rire, à bavarder, à ne pas écouter la leçon et Sun Tsé, qui est un Maître, reprend la leçon plusieurs fois. Plus il parle, plus les femmes se tordent de rire, sur quoi Sun Tsé vérifie son code. Et dans le code il est dit que si les femmes se tordent de rire au lieu de devenir des soldats c'est ce qu'on appelle être en état de mutinerie et le code a prévu qu'en état de mutinerie la loi prévoit la mort. Donc les femmes sont condamnées à mort. Ça embête le roi quand même : cent quatre-vingts femmes, ça fait beaucoup ! Il ne. veut pas qu'on mette ses femmes à mort. Et Sun Tsé lui répond que, puisqu'on lui a donné charge de produire du soldat avec de la femme, il exécutera cet ordre ; Sun Tsé, c'est l'homme de l'ordre absolu. Et donc il y a même un ordre plus « royal » que le roi lui- même : c'est la Loi absolue... On ne revient pas en arrière sur un ordre. Donc il fait ce que le code veut et avec son sabre il coupe la tête des deux commandantes. On les remplace, on recommence l'exercice et comme si elles n'avaient jamais rien fait d'autre que pratiquer le métier de la guerre, les femmes tournent à droite, à gauche, font demi- tour en silence et sans jamais se tromper.

On ne peut pas imaginer de représentation aussi parfaite d'un certain rapport entre deux économies : une économie masculine et une économie féminine où vous voyez l'économie masculine organisée par un ordre qui se comptabilise, par deux

S

doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw
doc-ctrl/page/rotate-ccwdoc-ctrl/page/rotate-ccw doc-ctrl/page/rotate-cwdoc-ctrl/page/rotate-cw